vendredi 24 octobre 2008

INDEPENDANCE: POUR UNE PRISE EN COMPTE DE TOUS LES MODELES ECONOMIQUES

INDEPENDANCE: POUR UNE PRISE EN COMPTE DE TOUS LES MODELES ECONOMIQUES Mardi 21 Octobre 2008

TOUTE STRUCTURE SE RECONNAISSANT DANS CE TEXTE PEUT EN ÊTRE CO- SIGNATAIRE: contact@la-fedurok.org



La définition de l’indépendance véhiculée par le ministère de la Culture et de la Communication dans la mise en place des « arènes de l’indépendance » illustre parfaitement à quel point sa vision de la diversité et de ses garants au niveau Européen est fermée (cf. programme).

Elle ne peut que conforter l’inquiétude que nous avons de voir cantonnée la multitude des initiatives indépendantes à l’invisible et à leur disparition annoncée.

En effet, dans le secteur musical en particulier, l’écrasante majorité des indépendants est représentée en Europe par des micros entreprises, des labels associatifs, des médias alternatifs, de très petites entreprises de spectacle vivant (collectifs, festivals, lieux, …) qui s’inscrivent dans une économie plurielle aux côté de ces PME, certes indépendantes mais qui se reconnaissent volontiers du modèle économique dominant de marché ultra libéral.

Ces très petits indépendants tentent, au contraire, de s’appuyer sur une économie sociale et solidaire qu’ils revendiquent ; économie au sein de laquelle la logique prédominante n’est pas le profit mais l’équité entre les différents acteurs de la production et de la diffusion, la coopération sur des territoires ou dans des communautés artistiques et l’affirmation d’une dynamique collective de développement artistique et culturel au plus près des populations.

Les PME invitées et représentées se situent à un stade de développement économique qui constitue la grosse frange de l’oligopole, très loin des modèles économiques indépendants les plus répandus en Europe.

Les structures dont nous portons ici la voix souffrent elles aussi de la concentration financière exacerbée du secteur, et leur place dans son économie plurielle est plus que jamais menacée. Pourtant, bien que fragiles, elles sont parmi les plus actives et innovantes. Ce panel constitue un creuset d’expérimentation et souvent un modèle de survie et d’ingéniosité là où l’industrie est en « crise » et s’adapte parfois difficilement aux évolutions technologiques et de pratique des publics.

Participants de l’économie sociale et solidaire, forces de proposition en matière de pratiques équitables, notamment envers les artistes, de regroupements en réseaux et de construction collective, il nous semble fort dommageable que le ministère de la Culture et de la Communication soutienne l’« indépendance » en faisant abstraction de ceux qui constituent le véritable socle de la diversité culturelle, et qui pourtant mériteraient bien qu’on fasse plus de cas de leur existence précaire.

Les organisations professionnelles signataires de ce communiqué sont toutes disposées à coopérer aux réflexions et travaux sur l’indépendance afin de compléter le débat des réalités des petites et moyennes structures qu’elles représentent.

Merci de faire circuler ce document au sein de vos réseaux ; tout acteur indépendant se reconnaissant dans ce texte et souhaitant le co-signer peut contacter :

Contact : contact@la-fedurok.org / 02 40 48 08 85

Co-signataires du présent texte :
· ACCES - Réseau de lieux de musiques actuelles Espagnol
· CD1D - Fédération réunissant 70 labels (associatifs et SARL) indépendants
· Les allumées du Jazz – Fédération de 47 labels indépendants Jazz
· Collectif Compagnie du Coin - Collectif de musiciens
· F.E.P.P.I.A - Fédération des Editeurs et Producteurs Phonographiques Indépendants d'Aquitaine
· FERAROCK- Fédération des radios associatives musiques actuelles
· Mille Milliards, label indépendant
· Prikonosvenie, label indépendant
· UFISC- Union Fédérale d’Intervention des Structures Culturelles (Dont les membres sont LA FEDERATION – Association Professionnelle des Arts de la Rue ; FEDUROK – Fédération Nationale de Lieux de Musiques Amplifiées/Actuelles ; SYNAVI – Syndicat National des Arts Vivants ; SCC – Syndicat du Cirque de Création ; FSJ – Fédération des Scènes de Jazz et de Musiques Improvisées ; CITI – Centre International pour le Théâtre Itinérant ; LE RESEAU CHAINON ; ACTES-IF – réseau solidaire de lieux culturels franciliens ; RIF – Confédération des réseaux départementaux de lieux de musiques actuelles/amplifiées en Ile-de-France ; SMA – Syndicat national des petites et moyennes Structures non lucratives de Musiques Actuelles ; ZONE FRANCHE – Le réseau des musiques du monde)
· Fairplaylist – Association pour l’équité et l’écologie dans la musique
· FAMDT – Fédération des Associations de Musiques et Danses Traditionnelles
· FNEIJMA – Fédération Nationale des Ecoles d’Influences Jazz et Musiques Actuelles
· Gamins de l’Art Rue – Association culturelle d’action contre l’exclusion
· Compagnie du FACTEUR SOUDAIN- Collectif de musiciens jazz/electro/musiques improvisées
· Reseau IMUZZIC- Réseau d'artistes jazz et musiques improvisées
· Artfactories/Autre(s)pARTS- Plate forme internationale de ressources des projets culturels de créativité artistique et sociale

jeudi 31 janvier 2008

Les deniers de la culture

Un peu d'histoire avec un grand H... comme Hugo.

Le genre de discours que l’on aimerait entendre aujourd’hui à l’Assemblée Nationale… celui-ci date de novembre 1848, n’a pas pris une ride et mérite d’être diffusé largement…

Ou : « quand le passé peut éclairer l’avenir

Auteur : Bertrand Furic, Directeur du Brise-Glace, scène de musiques actuelles à Annecy, et membre du conseil national du SMA, Syndicat national des petites et moyennes structures de Musiques Actuelles.

Les Deniers de la Culture

Personne plus que moi, messieurs, n’est pénétré de la nécessité, de l’urgente nécessité d’alléger le budget. Seulement à mon avis, le remède à l’embarras de nos finances n’est pas dans quelques économies chétives et détestables. Ce remède serait dans une politique intelligente et rassurante qui donnerait confiance à la France, qui ferait renaître l’ordre, le travail, le crédit…et qui permettrait de diminuer, de supprimer même les énormes dépenses spéciales qui résultent des embarras de la situation. C’est là, messieurs, la véritable surcharge du budget, surcharge qui si elle se prolonge et s’aggrave encore, et si vous n’y prenez garde peut dans un temps donné faire crouler l’édifice social.

J’ai déjà voté et je continuerai de voter la plupart des réductions proposées à l’exception de celles qui me paraissent tarir les sources même de la vie publique, et qui se présentent comme une faute politique certaine. Je veux parler du budget spécial des lettres, des sciences et des arts.

Je vote contre toutes ces réductions et je ne dirai qu’un mot aux honorables auteurs du rapport. Vous êtes tombés dans une méprise regrettable ; vous avez cru faire une économie d’argent, c’est une économie de gloire que vous faites.

Je la repousse pour la dignité de la France, je la repousse pour l’honneur de la République.

J’en appelle à vos consciences, j’en appelle à vos sentiments à tous, quel est le plus grand péril de la situation actuelle ?

L’ignorance, l’ignorance encore plus que la misère.

L’ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de toutes parts. C’est à la faveur de l’ignorance que certaines doctrines fatales passent de l’esprit impitoyables des théoriciens dans le cerveau confus des multitudes.

Le jour où l’ignorance disparaîtra, les sophismes s’évanouiront.

Et c’est dans un pareil moment, devant un pareil danger qu’on songe à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont pour but spécial de combattre l’ignorance ?

Oui, messieurs, j’y insiste. Un mal moral profond nous travaille et nous tourmente. Ce mal moral, cela est étrange à dire, n’est autre chose que l’excès des tendances matérielles. Et bien, comment combattre le développement des tendances matérielles ? Par le développement des tendances intellectuelles ; il faut ôter au corps et donner à l’âme.

Il importe, messieurs, de remédier au mal ; il faut redresser, pour ainsi dire, l’esprit de l’homme ; il faut, et c’est là la grande mission de l’homme, le tourner vers Dieu, vers la conscience, vers le beau, le juste et le vrai, vers le désintéressé et le grand.

C’est là , et seulement là, que vous trouverez la paix de l’homme avec lui-même, et par conséquent la paix de l’homme avec la société.

Pour arriver à ce but, messieurs, que faut il faire ? Précisément tout le contraire de ce qu’on fait les précédents gouvernement ; précisément tout le contraire de ce que propose votre comité des finances.

Il faut multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies.

Il faut multiplier les maisons d’études pour les enfants, les maisons de lecture pour les hommes, tous les établissements où l’on s’instruit, où l’on se recueille, où l’on apprend quelque chose, où l’on devient meilleur ; en un mot, il faut faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple ; car c’est par les ténèbres qu’on le perd.

Ce résultat, vous l’aurez quand vous voudrez. Quand vous le voudrez, vous aurez, en France, un magnifique mouvement intellectuel ; ce mouvement, vous l’avez déjà ; il ne s’agit que de l’utiliser et de le diriger ; il ne s’agit que de bien cultiver le sol.

La question de l’intelligence est identiquement la même que la question de l’agriculture.

L’époque où vous êtes est une époque riche et féconde ; ce ne sont pas, messieurs, les intelligences qui manquent, ce ne sont pas les talents, ce ne sont pas les grandes aptitudes ; ce qui manque, c’est l’impulsion sympathique, c’est l’encouragement enthousiaste d’un grand gouvernement.

Quoi ! d’un coté la barbarie dans la rue et de l’autre, le vandalisme dans le gouvernement ?

Messieurs, il n’y a pas que la prudence matérielle au monde, il y a autre chose que j’appellerai la prudence brutale. Les précautions grossières, les moyens de police ne sont pas, Dieu merci, le dernier mot des sociétés civilisées.

On pourvoit à l’éclairage des villes, on allume tous les soirs des réverbères dans les carrefours, dans les places publiques.

Quand donc comprendra t-on que la nuit peut se faire aussi dans le monde moral.

Et qu’il faut allumer des flambeaux pour les esprits ?

Discours de Victor Hugo à l’assemblée nationale le 10 Novembre 1848

lundi 26 novembre 2007

Les musiques actuelles dans la tourmente de la complexité

*Commentez cette contribution en bas de page

Pour la plupart des salles de musiques actuelles, quelles que soient leur taille et leur histoire, l’époque que nous traversons est synonyme de bouleversements, d’incertitudes et de tensions.

C’est dans l’environnement des activités de création et de diffusion que l’on retrouvera la plupart des explications à ces difficultés :

- l’environnement culturel : les musiques actuelles ont pris une importance prépondérante dans les pratiques culturelles des français. Autrefois présenté comme une sous culture marginale réservée aux jeunes (entendez ici « grands ados »), le Rock traverse les générations, les nouvelles tendances ne cessent de voir le jour, et les salles de concerts sont remplies d’un public de 12 à 60 ans ; les nouvelles générations d’artistes sont aussi en attente d’activités adaptées à leurs besoins. Accompagnement, soutien à la création, formation artistique ont fait leur apparition et obligent les salles, autrefois uniquement lieux de diffusion, à élargir leurs activités ;

- l’environnement institutionnel : les collectivités ont définitivement supplanté l’État dans le soutien à ces musiques ; un nouveau rapport s’est installé : l’État voudrait pouvoir réguler et donner les orientations, les collectivités acceptent de financer mais souhaitent également diriger les projets, imposent parfois leur vision, et tergiversent aussi compte tenu du flou en matière de compétences déléguées par les diverses lois de décentralisation ;

- l’environnement technologique : on pense bien sûr à la dématérialisation de la musique et à la prolifération des supports numériques, mais les nouvelles technologies de l’information et l’usage omniprésent de l’informatique ou encore l’intégration voix-données impactent également les modes de fonctionnement, les façons de travailler (de communiquer, de se faire connaître, de vendre un spectacle ou de la billetterie...) et de ce fait, les relations professionnelles et économiques elles-mêmes ;

- l’environnement économique et concurrentiel : devant la crise du disque, le spectacle est devenu un enjeu majeur, et l’industrie musicale s’organise à coup de concentrations verticales, de la création de la musique à son exploitation et à sa distribution sous toutes ses formes ; avec la multiplication de l’offre de création et de la demande de musique « partout-tout-le-temps », les salles de musiques actuelles se sont développées (en nombre et en importance), les agences de production se sont renforcées et ont envahi le territoire national, les radios indépendantes non commerciales peinent à se faire entendre, les artistes se sont un peu plus encore « starifiés » mais aussi fragilisés, les festivals ont proliféré au point d’engendrer une dérégulation du marché compte tenu de la concurrence qu’ils se livrent sur les têtes d’affiche ;

- l’environnement structurel et juridique : le rôle social pris en 25 ans par les musiques actuelles et le développement économique du secteur a conduit à une structuration nécessaire, qui repose sur une professionnalisation de milliers de salariés, mais qui se fait dans la souffrance bien souvent : contrats précaires, stress lié à la surcharge d’activité, formation insuffisante ou inadaptée, salaires bloqués, manque de perspectives, voire réglementation du travail pas respectée ; dans le même temps, le secteur affirme sa volonté de structuration bien qu’il lui manque encore les moyens nécessaires, en s’associant aux négociations des conventions collectives, en s’engageant dans le dialogue social, et en s’organisant collectivement (organisation d’employeurs, fédérations et confédérations) ;

- l’environnement social et sociétal : comportement du public, mode de consommation, rapport au travail,... Tout a changé depuis quelques décennies ; les équipes en place dans les lieux de musiques actuelles sont composées de deux générations qui n’ont pas vécu ces évolutions de la même façon, n’ont pas les mêmes aspirations ; de nouvelles fonctions sont apparues, des rôles plus affirmés de management doivent être assumés et une organisation différente doit être mise en place, plus proche du monde de l’entreprise, plus rigide et hiérarchisée et en rupture avec ce qui a prévalu jusqu’à maintenant.

La complexification de cet environnement que cette énumération rend patente, oblige le responsable d’une structure vouée aux musiques actuelles à se questionner sur les moyens qu’il va devoir s’adjoindre pour mener à bien son projet culturel.

Car la réussite d’un projet dans le domaines des musiques actuelles tient à la combinaison de deux facteurs : la pertinence et la cohérence du projet lui-même, notamment au regard des politiques culturelles locales, mais aussi à la performance de la structure qui le porte.

Cette notion de performance peut sembler en décalage avec l’objet culturel du projet, voire en contradiction même avec les valeurs qu’il porte. Car notre « culture » n’est pas celle de l’entreprise et ne supporte pas la référence au « marché ». Ainsi, les termes qu’affectionne particulièrement le monde marchand comme productivité, compétitivité, avantage concurrentiel, organigramme hiérarchique, procédure, démarche qualité, audit, management, processus décisionnel, ressources humaines, etc., sont ils chez nous des termes tabous, politiquement incorrects, voire pour certains, des menaces pour la créativité de nos projets artistiques.

Mais les temps changent, et la pérennité même des structures de musiques actuelles dépend désormais de leur capacité à mobiliser des compétences. Cela consiste à réunir et à combiner des connaissances, des savoir-faire et des comportements, dans un contexte donné (l’environnement décrit ci-dessus) pour obtenir le résultat attendu, à savoir la réalisation du projet culturel.

La compétence est une dimension plus large que l’addition de connaissances et de savoir-faire. A l’échelle de la structure, la compétence se mesure d’une part aux compétences à disposition dans l’équipe, mais la compétence globale ne sera égale ou supérieure à la somme des compétences individuelles qu’à partir du moment ou l’équipe de direction aura su les utiliser efficacement. Cela dépendra de sa capacité à fixer les règles et à définir les rôles de chacun, à organiser la coordination du travail (le management transversal !), à prendre en compte les évolutions de son environnement, à mesurer le résultat obtenu et à prendre les décisions qui en découlent.

Autant de choses qu’il est aisé de dire, mais pour lesquelles les responsables ne sont pas bien préparés, et dont ils ont parfois peu conscience. La maturité (malgré son jeune âge) du secteur des musiques actuelles se mesurera à la prise en compte dans les prochaines années de l’enjeu du développement de la compétence. Plus précisément, le manager de structure devra être capable :

  • de mettre en œuvre une véritable gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences,
  • de définir un organigramme fonctionnel et hiérarchique basé sur la responsabilisation,
  • de maîtriser les notions fondamentales de management de projet,
  • d’identifier les processus de mise en œuvre de son projet et de définir les procédures de réalisation,
  • de mettre en place des outils performants, notamment des systèmes d’information et des outils de gestion,
  • d’intégrer systématiquement l’évaluation dans ses méthodes de travail et s’attacher à la mesure de la qualité,
  • de garantir une gestion des ressources humaines établie à partir de référentiels éprouvés et qui permette l’épanouissement personnel des membres de son équipe, le développement de la compétence de chacun, l’évolution des carrières,

... et tout ceci dans un contexte de pénurie de ressources financières, en respectant la « culture du secteur » et en essayant de s’inscrire dans une démarche de développement durable !

Quel genre de surhomme faudra-t-il que nous trouvions (ou que nous devenions) pour relever de tels défis ? Et avons-nous choisi de faire nos métiers pour nous retrouver dans une telle posture ?

La passion, qui reste heureusement notre moteur, doit pouvoir nous aider à trouver la force et les moyens de passer le cap, à condition de garder toujours en tête quel projet culturel et artistique nous défendons, et d’y associer la dose de démarche compétence devenue indispensable. Pour réussir le pari, l’une des chance de notre secteur est de pouvoir partager les responsabilités de management du projet, de l’équipe et du lieu. Le challenge est de taille, mais réalisable. Pour peu qu’on veille bien se donner un peu de temps et de « marge » ! Et pour cela, peut-être, accepter de sacrifier un peu du projet au profit de la pérennité. Accepter ainsi de passer du « toujours plus » au « toujours mieux ». Les structures qui ne prendront pas la mesure de l’enjeu pourraient bien ne pas passer l’épreuve du temps...


Auteur : Pascal Chevereau, directeur technique et administratif de la Coopérative de Mai, Scène de Musiques Actuelles de Clermont-Ferrand, membre du conseil national du SMA, Syndicat national des petites et moyennes structures de Musiques Actuelles. pascal [@] lacoope [dot] org